This post is also available in: Anglais
Il est à peine neuf heures du matin, et le soleil brille déjà sur le village d’Antsatsamoroy, dans l’Aire marine protégée (AMP) Velondriake, au sud-ouest de Madagascar. En cette belle journée de juin, l’équipe et moi-même animons un échange d’apprentissages sur l’aquaculture avec des membres du village. Dans quelques mois seulement, certains d’entre eux deviendront des fermiers de concombres de mer dans la troisième ferme construite ici par l’association communautaire qui assure la gestion de l’AMP Velondriake avec le soutien de Blue Ventures.
En tant que Superviseur de l’appui aux associations communautaires pour le programme d’aquaculture dans la région, cela fait partie de mon rôle de mobiliser et d’accompagner les communautés autour d’échanges sur l’aquaculture comme à Antsatsamoroy.
L’aquaculture est déjà en place depuis plusieurs années dans la zone, et cette troisième ferme s’annonce plutôt bien. Pourtant, il y a quelques années encore, l’idée d’avoir cette ferme aurait semblé presque impossible : les divers défis rencontrés en cours de route avaient rendu certains membres de la communauté sceptiques. Avec Pauline, la Coordinatrice du programme, assise à mes côtés, nous mesurons aujourd’hui tout le chemin parcouru à écouter, tester, mettre en place, s’adapter sans cesse, surmonter les nombreux obstacles, apprendre et apprendre encore, avec les membres des communautés.
Les communautés côtières isolées avec lesquelles nous travaillons sont dépendantes de la pêche pour leur survie. Cette vulnérabilité sociale et économique pèse lourdement sur elles et sur la nature, avec la raréfaction des ressources marines et le changement climatique. C’est pourquoi l’introduction d’activités alternatives de revenus autres que la pêche est nécessaire aux communautés pour assurer leur subsistance et leur résilience, pour reconstruire leurs pêcheries et pour lever des obstacles à leur participation active dans la gestion durable de leurs ressources naturelles.
L’aquaculture communautaire – ici, l’élevage de concombres de mer et la culture d’algues – est un moyen de gagner un revenu en dehors de la pêche. Les programmes d’aquaculture peuvent être structurés de différentes manières. Mais pour offrir la plus grande autonomie possible aux membres des communautés engagés dans cette activité, nous les soutenons en tant que fermiers indépendants sous contrat avec des entreprises privées. Ainsi, les fermiers sont de véritables acteurs de l’aquaculture villageoise, et la communauté dans son ensemble, ainsi que l’association gestionnaire de l’AMP, sont étroitement liées à la gestion des activités aquacoles.
Dans le sud-ouest de Madagascar, Blue Ventures a développé des programmes d’aquaculture qui suivent ce format depuis 2009, en collaboration avec nos partenaires commerciaux, IOT et Ocean Farmers. Au début, l’objectif était d’introduire l’élevage des concombres de mer, mais l’introduction de la culture des algues a vite suivi, au début des années 2010.
2009-2015 – Des débuts prometteurs mais difficiles
Durant ces premières années, l’aquaculture villageoise dans l’AMP Velondriake commence bien. Suite au succès d’un projet pilote dans le village de Tampolove, une première ferme de concombres de mer y est construite grâce au soutien de Norges Vel – la Société Royale Norvégienne pour le Développement. Les concombres de mer grossissent. Les premières ventes ont lieu. Durant trois ans, notre partenaire d’alors, l’ONG malgache CITE, assure un renforcement de capacités en gestion de petites entreprises, en gestion de production, en culture de crédit et d’épargne et en vie associative pour les fermiers du village. Le projet est si prometteur que Norges Vel va accompagner Blue Ventures dans cette aventure pendant près de 10 ans.
Mais en 2014, un cyclone dévastateur, Haruna, détruit les infrastructures de la ferme. L’année suivante, une épidémie virulente, connue sous le nom de syndrome d’ulcération bactérienne, affecte fortement la production de concombres de mer. Ces deux événements touchent gravement la ferme de Tampolove. L’approvisionnement des enclos est suspendu et une réflexion sur le projet commence.
2016-2017 – Apprendre de ses erreurs
L’évaluation approfondie du projet nous permet alors d’identifier certaines faiblesses techniques, ainsi que certains aspects qui ne fonctionnent pas non plus pour les communautés.
Sur le plan technique, il apparaît que les enclos étaient trop faibles pour résister à des conditions climatiques tropicales sévères, et trop hétérogènes pour maintenir une production régulière. La stratégie d’approvisionnement et de grossissement était également assez fragile. Par ailleurs, la tour de surveillance était tout simplement trop rudimentaire pour appuyer un travail efficace des gardiens de nuit, chargés de surveiller les enclos et de dissuader les voleurs.
Au niveau du village, la communauté et ses représentants (chefs de clan) étaient peu impliqués dans la gestion du projet. Le travail des fermiers était basé sur un règlement non écrit, sans engagement formel à participer à la sécurité de la ferme et à la conservation marine. Le système financier devait également être amélioré, car de nombreux fermiers ne parvenaient pas à régulariser leurs charges.
Lorsque nous rejoignons le projet – en avril 2017 pour moi, et en novembre 2018 pour Pauline – les enseignements ont été pris en compte. Un nouveau modèle se met petit à petit en place.
2017-2019 – Un nouveau modèle
Au cours de l’année 2017 – grâce à l’appui de Tim Klückow, alors Responsable national de l’aquaculture pour Blue Ventures – une nouvelle ferme est construite à Tampolove. Les enclos sont uniformisés et renforcés. La stratégie d’approvisionnement est rationalisée. Une tour de garde plus moderne est construite, et équipée d’un système d’énergie solaire pour recharger les batteries d’indispensables lampes de sécurité.
La gouvernance de la ferme fait également l’objet de profondes transformations, avec une plus grande responsabilisation de la communauté et de l’association Velondriake. Les fermiers de Tampolove comptent désormais des représentants des dix clans du village, et chaque fermier est tenu de signer un contrat de location pour les enclos, qui énonce ses droits et obligations envers la communauté.
Ces transformations s’accompagnent d’une restructuration plus large du programme d’aquaculture, avec une participation et une gestion communautaires plus fortes. Des comités de gestion communautaires sont ainsi créés, qui sont responsables de la mise en œuvre des règles régissant les exploitations. Ce faisant, ils ont également la tâche difficile d’imposer des sanctions. Les outils de gouvernance font l’objet de mises à jour régulières, souvent à la demande des fermiers. Une vidéo est réalisée, où les fermiers de Tampolove détaillent eux-mêmes le contenu de leur contrat de location d’enclos.
Sur le plan financier, un processus de concertations et de discussions approfondies avec les fermiers aboutit à la mise en place d’un mécanisme qui garantit le paiement des coûts opérationnels de la ferme, tout en évitant à tout prix l’endettement de la communauté. Désormais, ce mécanisme est opérationnel et prévoit qu’une partie des revenus des ventes soit dédiée aux dépenses essentielles, telles que la rémunération des employés du comité de gestion ou l’achat de matériel.
Les résultats sont là. En 2019, la ferme de Tampolove génère plus de 130 millions d’ariary (32 500 euros). Cette année, en six mois de récoltes, et avec les adaptations nécessaires dans le contexte de crise sanitaire et économique de la COVID-19, elle a déjà atteint 90 millions d’ariary (22 700 euros) de revenus.
2019-2020 – De nouveaux défis
Sur le même modèle, Blue Ventures et l’association Velondriake lancent la construction d’une deuxième ferme dans le village d’Ambolimoky, dans la partie nord de l’AMP, en 2018. Les membres de la communauté, d’abord réticents en raison des échecs passés qu’ils avaient constatés, ont été conquis par une visite organisée sur le site de Tampolove. Dans le cadre d’un échange d’apprentissages, ils ont pu constater ensemble le succès du nouveau modèle d’élevage de concombres de mer pratiqué, et participer à l’entretien des enclos de concombres de mer, ainsi qu’à l’activité de gardiennage renforcé durant la nuit. De retour dans leur village, ils ont pu raconter à leur communauté ce qu’ils avaient vu, et témoigner directement sur ce que c’était que de travailler dans la ferme nouvellement modélisée. C’est à partir de là que la communauté d’Ambolimoky a commencé à discuter des plans pour établir sa propre ferme.
L’approvisionnement des enclos commence en octobre de la même année, et les ventes, un an plus tard. Impatients de voir se répéter à Ambolimoky le même scénario qu’à Tampolove, nos espoirs sont stoppés net en raison d’un vol survenu en janvier 2020.
Une nouvelle phase de réflexion s’ouvre alors avec nos partenaires commerciaux en vue d’un seul et même objectif : mettre la ferme sur des rails solides d’ici la fin de l’année.
Pour y parvenir, il faut trouver un équilibre : continuer de soutenir la ferme tout en s’assurant que les communautés s’engagent davantage dans le projet, à la hauteur des enjeux. Les derniers mois ont démontré – et ce, en dépit de la crise de la COVID-19 – qu’un tel équilibre est possible.
C’est un équilibre parfois précaire et qui nécessite un travail de chaque instant, mais les résultats sont là. De nouveaux outils de gestion ont été mis en place (renforcement des règles de gardiennage et de remplacement des fermiers, mise en place de carnets de suivi des absences et des sanctions), et la reprise de l’approvisionnement régulier des enclos est en cours de planification avec nos partenaires commerciaux.
L’avenir? Il peut probablement se résumer en quatre points:
Continuer d’apprendre : Une analyse socio-économique des fermiers travaillant dans la partie sud de Velondriake est en cours de préparation. Au-delà des chiffres de production et des revenus générés par l’aquaculture, il est essentiel que nous en apprenions davantage sur la manière dont ces revenus sont utilisés par les fermiers et que nous sachions si ces derniers ont modifié leurs habitudes de pêche.
Adapter nos modèles : Bien que solides, les modèles doivent encore être adaptés au cours des prochaines années afin d’en assurer la durabilité. Avec notre soutien et celui de nos partenaires commerciaux, les fermiers vont devoir mettre en place des mécanismes de gestion appropriés, notamment financiers.
Augmenter le nombre de fermiers : En plus de la troisième ferme en cours de construction dans le village d’Antsatsamoroy, nous espérons pouvoir agrandir les deux fermes existantes d’ici 2022 afin d’augmenter de manière significative le nombre de membres de la communauté engagés dans cette activité alternative durable de revenus.
Autonomiser les associations communautaires : Une clé de la réussite de ce projet est que, à terme, les représentants des communautés puissent prendre en charge la gestion de l’aquaculture villageoise. Le transfert de compétences aux superviseurs des comités de gestion recrutés au sein de la communauté, et le renforcement de capacités des associations, qui prendront plusieurs années, sont d’ores et déjà au cœur de notre travail. A titre d’exemple, dans chaque village de l’Aire Marine Protégée Velondriake, un représentant de l’Association a été désigné et formé afin de soutenir et encadrer les activités d’aquaculture.
Nous avons conscience du chemin parcouru, et plus encore de la tâche immense qui s’annonce. L’environnement dans lequel nous vivons et travaillons présente des défis incontestables que nous relevons également, notamment la pauvreté, l’analphabétisme et l’insécurité. Notre énergie ne faiblit pas : nous savons que la résilience des communautés et de l’environnement marin dont elles dépendent repose sur la réussite d’activités alternatives génératrices de revenus telles que l’aquaculture.
En savoir plus sur les leçons apprises à la ferme de concombres de mer de Tampolove
Découvrez comment l’aquaculture stimule la bioéconomie à Zanzibar
Merci à nos bailleurs de fonds Norges Vel – la Société royale norvégienne pour le développement – pour leur soutien au cours des dix dernières années avec notre programme d’aquaculture.